jeudi 3 mars 2011

Un poème qui sent bon le Liban, terre chérie de mon coeur d'étranger adopté par l'Orient!

Article de l'Orient-le Jour du 26 janvier 2004 ....


Plaidoyer - a tous les jeunes Joseph du Liban


Pour les premières amandes vertes que l'on croque, trempées de sel,
et qui sonnent le glas de l'hiver,
Pour l'arbuste du balcon que l'on croyait mort et qui refleurit
inexplicablement en décembre,
Pour le grincement familier de la balançoire sur laquelle on s'assoupit,
enivrés de soleil, dans le chant des cigales,


Pour la chanson séculaire du marchand ambulant dont on essaye en vain,
depuis l'enfance, de comprendre les paroles,
Pour cette Vierge Kitch que des mains naïves ont parée de fleurs de
pacotille et qu'on découvre, immobile dans sa grotte, au détour d'un
sentier de montagne,
Pour les klaxons « sauvages » d'un mariage d'été qui nous précipite
pourtant tous au balcon pour voir si la mariée est belle,


Pour ce chauffeur de taxi plutôt beau gosse qui nous fait le cadeau
d'un clin d'oeil complice sous le pont de Dora,
Pour ces tribus de parents qui attendent à l'aéroport, oeillets
défraîchis à la main, le retour au pays de l'enfant prodigue, et qui arrivent
toujours beaucoup trop tôt,
Pour cette vieille mémé qu'on a refusé de mettre à l'asile malgré
l'appartement-de-Beyrouth» trop étroit, et que son fils continue
d'embrasser chaque soir,


Pour cette femme voilée qui fait, au mois de mai, le pèlerinage de
Harissa, et que NOTRE-DAME ne manquera pas d'exaucer, c'est sûr,
Pour ces infirmières de nuit un peu inutiles parce qu'on ne quitte pas
ses proches malades, quand il fait noir,
Pour le jeune policier du carrefour qui fait semblant de rêver quand on
traverse en trombe en fin, fin de feu orange,


Pour le « Ya hala » claironnant du steward des Lignes du Cèdre qui nous
accueille sur l'avion de Beyrouth, et qui éloigne, à lui seul, toute la
froideur de l'Occident,
Pour cet automobiliste souriant en trois-pièces cravate qui, un soir de
Nouvel An très pluvieux, vous change votre pneu, sans vous demander
votre numéro de téléphone,
Pour le collier de jasmin odorant que cet amant d'été passe au cou de
sa belle et qui scintille sur sa peau dorée de brune,


Pour les femmes trop parées, trop blondes, trop maquillées, trop
clinquantes, trop tout, mais si belles que c'en est indécent,
Pour ce soleil lumineux de janvier qui nous fait douter que la tempête
terrifiante de tout à l'heure ait vraiment eu lieu,
Pour la voix si triste de Feyrouz qui réveille en nous une âme enfouie
de villageoise d'opérette,


Pour l'odeur de la « mankouché » du matin qui est, tout le monde vous
le dira, bien plus qu'une galette au thym, comme la traduit bêtement le dictionnaire,
Pour la « dabké » que dansent des hommes de Baalbek, des vrais, et tant
pis si les androgynes sont à la mode,
Pour la fierté de la grand-mère à qui on montre son premier descendant
mâle, et tant pis pour l'égalité des sexes,


Pour ces cerises de juin si noires qu'elles colorent de violet les
langues des enfants,
Pour le bonheur absurde de penser que plus jamais on ne dormira dans un abri,
Pour la maison d'en haut qu'on fait plus belle que l'autre, la
citadine, parce que c'est là qu'au soir de notre mort, on accueillera les gens du village,


Pour la réponse sage de toutes les mamans que leurs enfants appellent
et qui souhaitent, avec le sourire, qu'ils les enterrent,
Pour les soirs de juin sur la terrasse de Zahlé, pour la vigne de
septembre qui finit par nous offrir une grappe, pour les gardénias de mai, pour
l'odeur mouillée de la terre après la première pluie,
Pour ce soir à Baalbek, pour ne pas avoir froid, pour ne pas avoir peur,
pour ne pas vivre seul, pour...
Pour ta maman, Joseph, ne pars pas.


Nada NASSAR-CHAOUL
Lettre écrite à mon fils Joseph, qui, comme tant d'autres jeunes du Liban, désire partir pour d'autres cieux.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire